Résumé |
L’existence de personnes sans domicile est une des formes les plus visibles que prend la pauvreté dans les sociétés occidentales. Ce phénomène, qui s’est aggravé en France au début des années 1990, a fait naître le besoin de recherches spécifiques, les instruments classiques de l’observation statistique se révélant peu adaptés. Le présent volume présente une synthèse de travaux, autour d’une enquête statistique - la première du genre en France - effectuée par l’Ined à Paris, en 1995, auprès de personnes sans domicile. Les premiers chapitres répondent à la question : que pouvait-on savoir sur les personnes sans domicile, en France au début des années 1990 ? Aucune enquête spécifique n’avait alors été effectuée et il était établi que les recensements étaient peu adaptés pour observer une telle population. En revanche, les enquêtes " Logement " de l’Insee, effectuées tous les quatre ans, permettaient de comprendre une partie du processus conduisant certaines personnes à se retrouver sans logement : alors que le nombre de personnes en difficulté augmentait du fait de la " crise ", le nombre de logements susceptibles de les accueillir diminuait. En effet, l’amélioration générale de l’habitat, la rénovation des quartiers dégradés, la diminution du nombre de logements régis par la " loi de 1948 " ont entraîné une réduction du parc de logement que l’on appelle " social de fait ", c’est-à-dire de logements souvent vétustes, voire insalubres, mais moins onéreux, et plus faciles d’accès, que les HLM et autres logements constituant le parc social " de droit ". Par ailleurs, à défaut de travaux statistiques sur les sans-domicile, une vaste littérature d’inspiration ethnographique avait été consacrée à leur vie quotidienne, aux rapports avec les services d’aide ou aux stratégies de survie mises en œuvre. Enfin, les enquêtes statistiques effectuées aux États-Unis depuis le début des années 1980 constituaient une somme d’expériences permettant de définir au mieux des protocoles d’observation adaptés. Une place importante est réservée à une présentation des problèmes méthodologiques et éthiques auxquels sont confrontés les chercheurs qui étudient ces personnes qui connaissent des conditions de vie particulièrement difficiles. Les exigences de l’observation scientifique et le respect des principes qui fondent la légitimité démocratique et humaniste d’une enquête comme celle-ci imposent en effet des contraintes strictes, qu’il s’agisse du plan de sondage, de la conception des questionnaires, de la sélection et de la formation des enquêteurs, des modalités de travail sur le terrain, de la conception des nomenclatures… Enfin sont présentés les principaux résultats de l’enquête statistique, ainsi que de travaux menés conjointement pour mieux comprendre l’univers dans lequel vivent les personnes sans domicile à Paris. Le réseau d’institutions et d’associations proposant hébergement et nourriture, associés parfois à une aide à la réinsertion, est en effet complexe, fortement hiérarchisé, de l’hébergement d’urgence dans des dortoirs à l’hébergement de longue durée dans de petits appartements. L’enquête permet de comprendre qui sont les personnes sans domicile, quelle a été la trajectoire les ayant conduites " à la rue ", comment elles vivent, quel est leur état de santé. Elle montre aussi comment les personnes sans domicile doivent mobiliser les " capitaux " dont elles disposent - santé physique et mentale, réseau familial et social, formation scolaire et professionnelle, acquis culturels… - pour se placer au mieux dans le système des modes d’hébergement. Face à des ressources de plus en plus rares, qu’il s’agisse du logement ou du travail, la compétition entre pauvres ne peut que s’aiguiser, au détriment des moins dotés. |